Je me suis tournée en arrière, et je nous ai revus. Nous étions deux enfants. Nos mots étaient maladroits et nos épaules fragiles. Rien ne devait nous arrêter. On avait le courage de notre âge, la candeur, l'innocence. Et on brisait tout ça à coups de poings. On était morts de faim. On voulait vivre, hurler, vibrer. On voulait tout. Ensemble. Le temps a couru pour s'échapper, et nous nous sommes trouvés. J'avais ces putains de frissons, les entrailles emmêlées, j'aurais pu rester là, toute la vie, en mourir, de soif et de faim, je me nourrissais de toi. Plus rien n'était réel, j'avalais chaque seconde à m'en étrangler. J'étais là. Pleinement là, absolument là. J'enregistrais pour que ces instants durent toujours, quelque part, dans un coin de mon cerveau. Pouvoir revoir tout ça, l'avoir encore entre les doigts. Tu es devenu mon ombre. Je savais. J'avais peur, mais je savais, instinctivement, j'en étais persuadée. Ça ne pouvait pas s'arrêter là, on n'avait rien vécu. Tu es devenu mon obsession. Je n'étais faite que de toi. Et j'attendais mon tour. Comme par miracle, mon tour est venu. J'attendais là, sur ce quai de gare, comme si je n'en étais jamais partie. Comme si j'avais grandi ici, au milieu des retrouvailles et des adieux, comme s'ils m'avaient sculptée, durcie.
Et voilà, c'était maintenant. Tout convergeait vers cet instant. Le dernier jour du reste de ma vie. Nous avons vécu. Hurlé. Vibré. Avec la sagesse de notre âge. La douceur. On ne s'y attendait pas mais elle était là. Un peu de calme. Beaucoup de simplicité. Elle était belle et elle s'usait. Face à la réalité, elle rouillait.
Putain.
Elle s’abîmait.
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